Entretien avec Ana Palacio, avocate internationale et ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères

23.10.2019 – Le Matin

Mohamed Amine Hafidi

Entretien avec Ana Palacio – «Le Maroc est un partenaire indispensable pour les Européens en Afrique subsaharienne»

«Quand les Européens se retrouvent droit au mur, ils réagissent. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de réagir et savoir quelle est notre vraie valeur ajoutée et comment revoir notre copie».

En marge de la World Policy Conference à Marrakech, le Matin-Eco a rencontré Ana Palacio, avocate internationale. L’ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères revient dans cet entretien sur le phénomène du protectionnisme et des mouvements nationalistes qui gagnent plusieurs pays développés, ainsi que sur l’évolution des relations maroco-européennes, notamment en lien avec le continent africain.

Le Matin-Eco : Le monde traverse actuellement de nombreux bouleversements géopolitiques et économiques dus, entre autres, à la montée du protectionnisme, notamment en Europe. Quelle est votre lecture de cette situation ?
Ana Palacio 
: Je crois que l’Europe vit actuellement une certaine confusion. Une situation qui, selon moi, doit changer et je demeure optimiste. Vous savez, quand les Européens se retrouvent dos au mur, ils réagissent. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de réagir et de savoir quelle est notre vraie valeur ajoutée et comment revoir notre copie. Dans ce tumulte mondial, je suis convaincue que l’Europe a un rôle à jouer, à condition de conserver les bannières universelles du droit et de l’individu. L’Europe, par exemple, maintient sa position sur la protection des données personnelles, selon laquelle ces données doivent appartenir à l’individu. En revanche, en Chine, ces données appartiennent au gouvernement, et chez les Américains, elles sont du domaine des grandes entreprises qui les achètent implicitement.

Quelle est, selon vous, l’origine de ce mouvement nationaliste qui gagne plusieurs pays développés ?
Après la Deuxième Guerre mondiale, en particulier après la chute du Mur de Berlin, on avançait que la rationalité avait triomphé. Nous avons vécu dans un monde établi par des règles, des institutions et le respect des lois. Aujourd’hui, le nationalisme perce, à travers des personnalités charismatiques. En Europe, les gens suivent ces mouvements, car ils sont bien nostalgiques. Cependant, ce qu’on remarque, c’est que dans ces sociétés, où des personnalités «légitimes», souvent guidées par leurs intérêts personnels, l’irrationnel gagne du terrain. Le meilleur exemple est le Brexit. Est-ce que c’est dans l’intérêt des Britanniques ? Non. Mais ceci n’empêche pas les Britanniques qui scandent «Bring my great Britain back» d’applaudir cette décision, car ils sont évidemment nostalgiques.

Comment entrevoyez-vous l’évolution des relations maroco-européennes ?
Le Maroc jouit d’une position géographique stratégique, ce qui en fait un partenaire indispensable pour les Européens pour offrir de la vraie valeur ajoutée à l’Afrique subsaharienne. Ce rôle est d’autant plus accentué grâce à la politique étrangère volontariste de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en Afrique. Aujourd’hui, l’Afrique recèle d’énormes opportunités et l’Europe commence à peine à avoir une vraie politique africaine. On commence à comprendre que l’Afrique doit figurer parmi nos principales priorités. Toutefois, pour des raisons historiques, notamment le colonialisme, nous avons besoin d’un partenaire qui connait et comprend très bien cette région, et c’est là où le rôle du Maroc intervient.

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