Le repli américain est-il dangereux ?

Le dégagement des Etats-Unis rend-il la situation internationale plus dangereuse? La réponse de François Nordmann

Le dégagement des Etats-Unis rend-il la situation internationale plus dangereuse? Le monde était-il plus sûr quand Washington y assumait pleinement son leadership? Ce thème a occupé la World Policy Conference qui s’est tenue au début du mois à Séoul sous la direction de M. Thierry de Montbrial, directeur de l’Institut français des relations internationales. Trois anciens hauts responsables américains ont été invités à s’exprimer sur cette question centrale. Richard Haas, ancien chef du service de planification politique du Département d’Etat, à l’époque de la présidence de George W. Bush, et président du Council on Foreign Relations en a débattu avec Joseph Nye, ancien membre de l’administration démocrate des présidents Carter et Clinton devenu professeur à Harvard – l’inventeur de la notion de «soft power», c’est lui! Puis Robert Gates, ancien ministre de la Défense, a également livré ses vues sur le sujet.

La politique étrangère américaine obéit à des cycles d’extension suivis de phases d’isolement, ou plutôt de repli sur soi, comme ce fut le cas après la guerre du Vietnam. Si George W. Bush pratiquait le triomphalisme, Obama est plus prudent dans l’usage de la force. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan, qui sont en train de se terminer ont engendré le repli actuel de la politique américaine. Mais il faut le replacer dans son contexte historique: ce n’est pas de l’isolationnisme, comme au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le leadership américain n’a jamais été absolu: en 1945, il fut incapable d’empêcher Staline d’acquérir la bombe atomique ou de répandre l’idéologie communiste, et dès 1949, il ne contrôlait plus l’espace comprenant la Russie, l’Inde et la Chine. Dans la période actuelle, on remarque plus facilement les décisions de ne pas agir que celles d’intervenir…

Mais voyons aussi ce qui se passe dans le monde, réplique Richard Haas. On assiste à une diffusion du pouvoir entre Etats et acteurs non étatiques, la décentralisation est la marque de la décision politique et il y a bien un manque de confiance en les Etats-Unis.

Les aléas de la vie politique interne pèsent sur la capacité d’agir du gouvernement américain, même si la prééminence de l’exécutif sur le Congrès reste intacte, ce qu’on perçoit mal à l’étranger.

Il n’en demeure pas moins qu’une administration en a fait trop et qu’une autre n’en fait pas assez. Les événements d’Europe (Ukraine), du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est ont interféré avec la politique de repli. Ils constituent un facteur de risque pour 2015-2016. On ne peut écarter la survenance d’un «accident majeur» en politique étrangère d’ici à la fin du mandat d’Obama, en 2016 : le caractère de ce dernier, brillant analyste, mais décideur complexe, dans une situation internationale chaotique, amène Richard Haas à s’interroger: le président sera-t-il en mesure de prendre les décisions courageuses que les circonstances pourraient exiger, ou va-t-on au-devant de deux années dangereuses?

Sur l’Ukraine, les choses ne vont pas évoluer en un ou deux ans. L’Europe et les Etats-Unis coopèrent étroitement, mais il incombe au premier chef à l’Europe d’aider l’Ukraine sur le plan économique: en a-t-elle les moyens? L’état de l’économie européenne – stagnation-déflation – est en lui-même préoccupant. La reconstruction d’une économie viable en Ukraine ne suffira pas à tenir tête à Poutine, il faut aussi être en mesure de mieux protéger les Etats baltes. L’Europe aura-t-elle la capacité d’aider l’Ukraine et de remplir ses obligations à l’égard de l’OTAN, ce qui est tout aussi nécessaire?

Poutine est un homme du passé, en proie à la nostalgie de l’empire perdu et attaché à préserver les droits des 25 millions de Russes vivant hors de Russie. Il est rationnel: la chute du prix du pétrole le fera davantage plier que les sanctions.

Avec l’Iran, Richard Haas et Bob Gates sont d’avis qu’un accord est peu probable, et en tout cas peu souhaitable: il incombe désormais à l’Iran de faire le plus grand pas en renonçant aux trois quarts de ses centrifugeuses. Le P5 + 1 est allé au-delà des résolutions du Conseil de sécurité en acceptant que l’Iran conserve une capacité d’enrichissement limitée. Mais l’Iran n’a pas besoin de 19 000 centrifugeuses pour faire face à ses besoins légitimes d’uranium enrichi, 4000 ou 5000 suffiraient. Cependant, les ayatollahs ont refusé cette concession fondamentale. Même si un accord intervenait in fine, on ne serait jamais sûr de la manière dont il serait appliqué. Dans ces conditions, l’absence de traité ne signifierait pas la fin du monde. Joseph Nye admet que dans la meilleure des hypothèses, le potentiel de coopération politique entre l’Iran et les Etats Unis serait assez faible.

Robert Gates rappelle que le Moyen-Orient est le théâtre de quatre conflits simultanés: les chiites contre les sunnites; les réformistes contre les régimes autoritaires; les séculaires contre les islamistes, les Etats créés artificiellement contre une partie de leur population (Irak, Syrie).

Enfin, en Asie, mise à part la montée en puissance de la Chine, les Américains ont deux sujets de préoccupation: les tensions qui subsistent entre leurs alliés japonais et coréens sous le poids de l’histoire, et le caractère belliqueux et imprévisible de Kim Jong-un, le dictateur nord-coréen, que les Chinois renâclent à encadrer avec plus de fermeté comme ils le pourraient.