Les institutions de la gouvernance mondiale sont en panne

21.11.2016

Chronique, Le Temps, François Nordmann

Il n’y a plus de forum global où l’on traiterait des affaires du monde, on n’y aborde plus que les seuls intérêts nationaux, chacun pour soi. Il faudrait en revenir au sens d’une commune destinée, restaurer la nécessité du dialogue, est convaincu François Nordmann

Dans un contexte général difficile, complexe et mouvant, l’incertitude, l’impossibilité de prévoir raisonnablement les événements, de déceler à l’avance les facteurs qui conditionnent les choix démocratiques et les décisions des Etats affectent durablement les relations internationales.

La volatilité des opinions, la mobilisation contre les politiques éprouvées, la mise en cause des acquis de la mondialisation par ceux qui n’en profitent pas mettent en lumière la fragilité de la situation actuelle.

La recherche commune de solutions en voie de se briser

M. Davutoglu, ancien premier ministre turc, constatait le 20 novembre dernier dans une intervention à la World Policy Conference qui se tient actuellement à Doha (Qatar) que la gouvernance mondiale reculait. La tendance à rechercher en commun des solutions internationales aux grands problèmes – migration, changement climatique, lutte contre la pauvreté, terrorisme, non-prolifération, régulation financière – fondées sur des valeurs et des intérêts bien précis est en voie de se briser.

Les organes destinés à piloter la gouvernance mondiale (G-8, G-20, Etats parties à des traités spécifiques) sont en panne. On navigue à vue: on ne sait pas où en sera la politique internationale dans six mois, dans un an.

Antithèse de la mondialisation

Pour l’orateur, l’ordre international établi en 1945 a évolué depuis la fin de la Guerre froide vers un système de gouvernance mondiale. L’ONU s’est enrichie de procédures plus souples qui prônaient le dialogue et témoignaient de la volonté de résoudre des problèmes transnationaux en commun, par des actions, des transactions (ou des restrictions) librement consenties dans l’intérêt de tous.

Aujourd’hui, l’ensemble des règles et des valeurs qui sous-tendaient l’ordre mondial sont de moins en moins respectées. Le populisme est en ascendant, et il est susceptible de dégénérer en vil nationalisme, nourri de nostalgie pour un âge d’or mythique. Il est l’antithèse de la mondialisation.

Equilibre des pouvoirs porteur de tous les dangers

De ce fait, on en revient au système de l’équilibre des pouvoirs du XIXe siècle, imprévisible, dépourvu de valeurs partagées, reposant sur la force et porteur de tous les dangers.

La crise de l’UE, qu’expriment la sortie de la Grande-Bretagne, le conflit avec la Pologne et la Hongrie, et la division entre le nord et le sud du continent, la guerre de Syrie et la profonde instabilité du Moyen-Orient, les interrogations qui accompagnent l’élection du président Trump aux Etats-Unis, pour ne rien dire des périls qui s’amoncellent sur l’Asie sont préoccupants.

Le droit de la guerre fait place à la punition collective

Comme on le voit à Alep, le droit de la guerre fait place à la punition collective. La culture politique est devenue celle de l’exclusion, de la xénophobie. Cet état d’esprit, répandu par des autocrates populistes sur fond de chômage n’est pas sans rappeler les années 1930, qui ont conduit comme on le sait à la guerre mondiale.

Il n’y a plus de forum global où l’on traiterait des affaires du monde, on n’y aborde plus que les seuls intérêts nationaux, chacun pour soi. Il faudrait en revenir au sens d’une commune destinée, restaurer la nécessité du dialogue, lutter pour l’inclusion et redoubler d’efforts pour éviter une nouvelle guerre mondiale.

Président fondateur de la Conférence, Thierry de Montbrial voit dans la colère contre les inégalités, les revenus non gagnés et la corruption l’origine du fameux rejet des élites.

Eviter la désintégration économique

Les Occidentaux ne sont pas épargnés par ces phénomènes mais ils n’en conservent pas moins le droit de continuer à défendre leurs valeurs et corriger leurs erreurs.

Face au risque de fragmentation politique et économique, il convient de poursuivre l’objectif de libération des échanges, sur une base de réciprocité, tout en mettant en place des politiques de compensation au bénéfice des parties perdantes.

C’est ainsi que l’on parviendra – au prix de mille difficultés – à éviter la désintégration économique et sociale, cause fondamentale des migrations incontrôlées, des vagues de réfugiés et du terrorisme.