Renaud Girard : «Pourquoi Donald Trump veut aller jusqu’au bout sur la Chine»

25 septembre 2018

Trump veut aller jusqu’au bout sur la Chine

Le porte-parole du gouvernement chinois vient d’accuser les Etats-Unis d’avoir commencé « la plus grande guerre commerciale de l’Histoire économique ». Le lundi 24 septembre 2018, sont entrés en vigueur les nouveaux droits de douane imposés par le président Trump aux produits chinois. 200 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les Etats-Unis sont touchées (sur un total de plus de 500 milliards par an). La surtaxe décidée par la Maison Blanche est de 10%, mais elle grimpera à 25% en 2019 si les deux gouvernements ne parviennent toujours pas à s’entendre. Les Chinois ont épuisé leurs moyens, dans la mesure où leurs importations d’Amérique ne dépassent pas les 130 milliards annuellement.

L’offensive tarifaire du président Trump contre la Chine est une politique qui a reçu un soutien substantiel des parlementaires américains (démocrates comme républicains) et des alliés européens des Etats-Unis. La chambre de commerce européenne en Chine a expliqué que la cause première de cette guerre commerciale sino-américaine est l’ouverture incomplète des marchés chinois aux biens et services en provenance de l’étranger.

Les autorités chinoises ne peuvent se plaindre de ne pas avoir été prévenues. Depuis qu’il a été élu, Donald Trump leur a demandé de modifier leurs pratiques commerciales, notamment lors du sommet de Mar-a-Lago (Floride) d’avril 2017. Au forum économique de Davos, en janvier 2018, Trump a déclaré : « Nous sommes en faveur du libre-échange, mais il doit être juste, et il doit être réciproque ! » Or les Américains estiment que la Chine, depuis trente ans, n’a jamais fait preuve de réciprocité dans son commerce avec les Etats-Unis, et qu’elle s’est montrée de surcroît très injuste.

Washington ne reproche pas seulement à Pékin l’énormité du déséquilibre commercial entre les deux nations. Les Américains accusent les Chinois de violer les règles de l’OMC (dont la Chine est membre depuis 2001) en ayant systématiquement recours au dumping et aux aides d’Etat camouflées. Trump est le premier dirigeant occidental à avoir dénoncé les stratégies chinoises de pillage technologique et d’intimidation des investisseurs occidentaux en Chine. Tel industriel souhaitant s’installer en Chine est prié de constituer une joint-venture avec un industriel local. Au début, les relations avec l’associé chinois sont merveilleuses, les usines démarrent, la distribution suit, les clients apprécient, l’investisseur occidental gagne de l’argent. Mais dans une deuxième phase, l’associé chinois se saisit d’un prétexte pour quitter soudainement la joint-venture. Les Occidentaux le retrouveront bientôt dans une autre usine, fabriquant des produits similaires, grâce à toute la technologie qu’il a auparavant volée. S’ils osent se plaindre, le Ministère de l’Intérieur les menace de leur retirer sur le champ leurs titres de séjour.

Trump a décrété que les Chinois ne voleraient plus jamais la technologie américaine. La Chine va-t-elle se soumettre aux demandes américaines ? Va-t-elle réagir de manière rationnelle ou émotionnelle ? Rationnellement, les Chinois seraient bien avisés de faire des concessions car ils ont davantage besoin de l’Amérique (en termes de formations universitaires, de technologie à importer et de marchés à l’export) que l’Amérique a besoin d’eux. Les 2000 milliards de bons du trésor américain que détient la Chine ne peuvent constituer pour elle un moyen de pression. Les vendre massivement reviendrait pour elle à se tirer une balle dans le pied, par dépréciation de ses actifs. Et les Américains trouveraient toujours preneurs ailleurs pour leurs obligations libellées en dollars.

Mais une dernière mesure américaine, d’une toute autre nature, pourrait très bien déclencher une réponse émotionnelle, c’est-à-dire nationaliste, de la part des Chinois. Le 20 septembre 2018, en vertu des lois américaines d’embargo votées après l’annexion de la Russie et après l’affaire Skripal, l’EDD, qui est l’organisme chinois chargé d’améliorer la technologie des armements de l’APL (Armée populaire de libération) et son chef, Li Shangfu, ont été sanctionnés pour avoir acheté à la firme d’Etat russe Rosoboronexport une dizaine de chasseurs bombardiers Sukhoi 35 ainsi que des missiles sol-air S-400. Leurs comptes sont gelés aux Etats-Unis et interdiction est faite à toute personne morale ou physique américaine d’être désormais en affaires avec cette personne et cette entité chinoises. L’Amérique a encore étendu l’extraterritorialité de son droit, car la transaction sino-russe n’était pas libellée en dollars…

Les Chinois vont-ils se sentir victimes de traités inégaux comme au XIXème siècle et se rebeller ouvertement contre l’Amérique ? C’est possible, car ils ont exigé d’elle publiquement le retrait de ces sanctions. Qui cédera le premier ? La réponse n’est pas pour demain. Ce n’est que le début d’un très long bras de fer…

Renaud GIRARD