Sekou Koureissy Condé : « L’Europe n’est plus le centre du monde et se rapproche de l’Afrique »

20.11.2017

By MOËZ BHAR

Lors du rassemblement World Policy Conference, qui s’est tenu du 3 au 5 novembre 2017 à Marrakech, au Maroc, nous avons rencontré Sekou Koureissy Condé, qui a notamment été ministre de la Sécurité en République de Guinée. Aujourd’hui président de l’African Crisis Group, à Ouagadougou, Sekou Koureissy Condé est aujourd’hui reconnu comme un expert de la prévention et de la résolution des conflits en Afrique. Le Guinéen nous répond en tant qu’ambassadeur de paix.

Revue-Afrique : En tant qu’acteur de la société civile africaine, lors de la World Policy Conference, quel message adressez-vous à tous vos collègues africains ?

La World Policy Conference est un espace de rencontres. Je voudrais dire aux organisations civiles de la société civile africaine et aux citoyens africains que l’Afrique aborde en ce moment une phase importante, nouvelle et décisive de son évolution.Le centre du monde s’est déplacé. L’Europe n’est plus le centre du monde, l’Amérique n’est plus le centre du monde. Le centre du monde c’est aujourd’hui l’Asie et, du coup, l’Europe s’approche un peu plus de l’Afrique. Cela nous met tous d’une certaine manière en banlieue du monde et nous devenons des partenaires. Et qu’est-ce que l’Afrique offre à cet égard ? Nous offrons la démographie. Un capital humain important et immense des ressources humaines expérimentées et valorisées. Aujourd’hui, plus qu’en 1945 ou que pendant la guerre froide, nous conservons et préservons les ressources naturelles que nous avons. L’Afrique, aujourd’hui, avec un 1 milliard — et bientôt 1,5 milliard — d’habitants comptera, dans 35 ans, 2 milliards d’habitants. Et au regard des parcours des États africains, il manque la présence des organisations de la société civile. Donc je voudrais appeler ces organisations de la société civile africaine à la mobilisation, au rassemblement, à la citoyenneté, et au panafricanisme. C’est-à-dire faire de l’Afrique les États-Unis d’Afrique, les citoyens unis de l’Afrique.

L’Afrique a de gigantesques ressources, des richesses que nous pouvons mettre à disposition afin de nous préparer pour la fin du millénaire. L’Afrique doit donc être au rendez-vous. Il faut que les organisation de la société civile africaine abordent les questions africaines, les questions de paix, les questions de développement, les questions d’éducation, les questions de protection de l’environnement, de santé publique et d’autres questions de façon transfrontalière et transnationale. Il faut aujourd’hui considérer l’Afrique comme une et indivisible.

« La montée du terrorisme n’est pas l’apanage des pays africains »

Vous êtes le président de l’African Crisis Group, groupe africain de gestion de crises reconnu dans le domaine de la médiation en Afrique. Que pensez-vous de la montée du terrorisme en Afrique et quelle solution proposez-vous aux leaders africains ?

La montée du terrorisme n’est pas l’apanage des pays africains mais c’est la violence qui semble embraser le monde, nous « unir », d’une certaine manière, montrer que l’être humain est fragile et que la solidarité réelle est nécessaire et indispensable. Qu’est-ce que les occidentaux offrent ? Ils offrent la haute technologie, le renseignement sophistiqué, et les conditions de vie très améliorées. Par rapport à ça, qu’est-ce que l’Afrique offre ? L’Afrique offre l’énergie sociale, les liens sociaux, les réalités culturelles et traditionnelles, et ceci est une réalité qui n’a pas été suffisamment exploitée. Donc les frontières africaines sont fragiles, et le fonctionnement des États en Afrique porte des germes de conflit et l’administration dont nous avons hérité du droit positif les porte aussi, avec notamment le système politique et la démocratie africaine.

Ceci étant dit, la violence qui est liée à la pauvreté, qui est une forme de corruption des valeurs, est en train de se multiplier. Les leaders africains doivent prendre conscience du rôle du social, du rôle de l’Homme, du capital humain dans la résolution des conflits et la lutte contre le terrorisme. Il faut revaloriser les familles, l’école, les systèmes de régulation informels, il faut se parler, il faut du dialogue, et il faut faire de l’éducation civique et morale une priorité des gouvernements, il faut que les personnes se parlent. Nous sommes devenus très égoïstes et individualistes, et finalement les malfaiteurs en profitent. L’Afrique a une solution ! Cette solution est sociale, il faut le regroupement et le rassemblement des organisation de la société civile autours de cette priorité, c’est pourquoi pendant la World Policy Conference j’ai proposé deux choses.

La première, c’est l’organisation et la mise en place d’un parlement ouest-africain des organisations de la société civile qui est une innovation en termes de recommandation, qui sera un parlement qui ne légifère pas, proposant des solutions innovantes. Nous avons fait un premier pas, nous avons rencontré la société civile sénégalaise, nous sommes en train de continuer les consultations, et le moment venu, nous déciderons ensemble la formes que cela prendra. Et d’ici là, nous nous réunirons de façon consultative et volontaire dans les différents endroits, et nous allons aussi élargir à d’autres parties de l’Afrique, étape par étape. C’est une innovation que j’ai présentée et qui a été saluée.

La deuxième chose, c’est la rencontre africaine des organisations de la société civile que j’ai appelée la « RISCA ». Il faut que ces organisations africaines prennent le temps pour se retrouver comme les gouvernements se retrouvent, comme les ministres des Affaires étrangères aussi, et comme les représentants des armées se retrouvent quand il y a des conflits, et pas seulement à travers les think-tanks que nous saluons et que nous allons promouvoir, mais aussi en termes de rencontres formelles pour choisir des thématiques que nous allons étudier, examiner et discuter pour dispatcher au niveau des différents pays et permettre à la société civile d’être au même palier et niveau d’information.

« La question de la jeunesse est une question de formation, d’éducation et de suivi »

La population africaine est majoritairement jeune. Mais nous assistons à un trouble et un manque de repère de cette jeunesse. Qu’en pensez-vous ?

La jeunesse est notre avenir, elle est aussi notre devenir. Vous avez parfaitement raison, aujourd’hui la jeunesse a un manque de repères. C’est un problème de leadership. Nos gouvernants ne prennent pas le temps de projeter une vision qui puisse promettre et faire rêver les jeunes. Lorsque vous prenez par exemple les sociétés occidentales, vous allez voir qu’elles n’ont rien inventé. Elles ont hérité d’une culture, d’une architecture, d’un mode de vie et de situations qu’elles ont améliorées et progressivement renforcées et consolidées, et c’est ça qui manque chez nous en Afrique. C’est l’État qui doit s’emparer de ces questions.

La question de la jeunesse est une question de formation, d’éducation et de suivi. Aujourd’hui c’est la consommation d’abord avant l’éducation et la formation. Il y a à peine 15 ans, c’était la l’éducation, l’instruction et la formation. Le monde africain était encore dans la résistance. Aujourd’hui les jeunes sont plus performants, sont dans la globalisation à travers les outils informatique et numérique. Ils font des effortds énormes par rapport à d’autres générations, mais je dis bien qu’il manque un encadrement et un accompagnement des États, et ceci constitue une véritable menace. La vraie menace c’est l’abandon de la jeunesse à elle-même, et c’est le manque d’encadrement et le renforcement des capacités d’apprentissage des jeunes en vue de construire une Afrique positive et valorisée.

Interview de Moëz Bhar pour Afrika-News.