Le Monde – 23.09.2020
Marie Charrel
Avec le coronavirus, bienvenue dans un monde sans contact
Travail, santé, industrie… le Covid-19 va intensifier une série de mutations déjà à l’œuvre. Cette numérisation à marche forcée risque de se faire au détriment de l’emploi et des relations sociales.

Il n’est pas doué pour la conversation, mais ses expressos sont réputés du tonnerre. Au Lounge’X, café à l’ambiance mi-industrielle, mi-traditionnelle de Daejeon, grande ville au centre de la Corée du Sud, le robot Baris, de son petit nom, agite son bras d’acier pour remplir les tasses des habitués, plus guère surpris de ce ballet mécanique. Dans le quartier chic de Gangnam, à Séoul, inutile de chercher le serveur dans le restaurant Mad for Garlic : les plats, payés par smartphones, sont servis aux tables par un chariot automatisé. Non loin, au Novotel Ambassador Dongdaemun, le client de l’une des 211 chambres commandant un sandwich au milieu de la nuit voit débarquer un robot aux allures de minibar ambulant. Dans les rues alentours, des voiturettes autonomes sont testées pour livrer achats en ligne et repas à domicile.
Travailler, déjeuner et faire ses courses dans l’une des plus grandes mégapoles d’Asie sans approcher un être humain de la journée : en Corée du Sud, la « société sans contact » ne relève plus de la science-fiction, et elle a pris un peu plus d’ampleur encore avec la pandémie liée au Covid-19. Depuis le début de l’année, le pays a renforcé le recours aux technologies permettant de limiter les interactions pour respecter la distanciation physique. Et le président Moon Jae-in a fait desdites innovations le grand axe de son ambitieux plan de relance de 76 trillions de wons (55,8 milliards d’euros), dévoilé en juin.
Interactions virtuelles
Dans le détail, celui-ci prévoit une série d’investissements pour aider 160 000 entreprises à muscler leurs systèmes de travail à distance, pour connecter 1 300 fermes et villages de pêcheurs à l’Internet haut débit, pour équiper 240 000 étudiants en tablettes, et pour accélérer une série d’inventions telles que robots, drones et véhicules autonomes. Fort de sa longueur d’avance dans le déploiement de la 5G, le pays du Matin-Calme se rêve en leader de l’économie « untact » − un bricolage coréen entre les mots anglais undo (« annuler », « défaire ») et contact.
L’expression a été forgée en 2017 par Rando Kim, spécialiste des tendances de consommation à l’Université nationale de Séoul, pour évoquer l’essor des interactions humaines virtuelles dans la consommation comme au travail, et l’utilisation de robots pour pallier le vieillissement de la main-d’œuvre. « La Corée du Sud était encore un pays pauvre au début des années 1960, elle fait preuve d’une grande capacité à changer très vite », explique Rando Kim. Avant de confier : « Je suis tout de même surpris que l’économie « untact » soit devenue populaire si rapidement. À cause de la pandémie, les gens ont peur de se toucher, et surtout, ils doivent l’éviter ».
Cette peur de la contagion, pas un continent n’y échappe aujourd’hui. En Europe, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, des millions de salariés ont basculé du jour au lendemain en télétravail et des millions d’entreprises ont adapté leur fonctionnement en catastrophe. Des restaurants se sont mis à la vente à emporter ou à la livraison. Des hôpitaux, comme La Salpêtrière à Paris, ont testé des robots pour permettre aux familles de visiter virtuellement leurs proches en réanimation.
« Nous sommes des animaux sociaux, nous avons besoin du contact physique avec les autres », Olivier Servais, anthropologue
Les logiciels permettant d’organiser des réunions virtuelles ont été pris d’assaut, sans parler de la foison de nouvelles start-up proposant des modules de prise de température par infrarouge ou des machines autonomes assurant la désinfection de lieux publics. « Il devient possible d’imaginer un monde économique – des usines aux consommateurs individuels – où les contacts humains sont minimisés », estime le cabinet McKinsey, dans un récent rapport, citant également le boom des téléconsultations de médecine.
A l’heure où les contaminations repartent en Europe, alors que l’incertitude quant à la possibilité de mettre au point un vaccin rapidement est forte, il est bien sûr impossible de prédire ce à quoi ressemblera le monde d’après. Dans le scénario où le Covid-19 serait maîtrisé au cours de l’année prochaine, il est néanmoins probable que nous retrouvions une partie de nos habitudes d’avant. « Nous sommes des animaux sociaux, nous avons besoin du contact physique avec les autres », rappelle Olivier Servais, anthropologue à l’Université catholique de Louvain.
« Amplificateurs de changements »
Mais pour le reste, la pandémie va sans doute intensifier durablement une série de mutations déjà à l’œuvre depuis plusieurs années. « Les crises sont toujours des amplificateurs de changements », résume Stefano Scarpetta, de l’Organisation de coopération et de développement économiques(OCDE). La récession de 2008 avait ainsi précipité la désindustrialisation aux Etats-Unis et cristallisé la question des inégalités en Europe. « Celle liée au Covid va marquer l’accélération du capitalisme numérique », estime Daniel Cohen, directeur du département d’économie de l’Ecole normale supérieure. Soit l’autre petit nom de l’économie « untact ».
Outre le recours massif au télétravail, l’expression la plus manifeste de ce basculement est l’envol des paiements sans contact. « Les Français s’y sont massivement convertis pendant le confinement, et ils le sont restés depuis : la crise a servi de déclic », note Julien Lasalle, secrétaire de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, à la Banque de France. Entre juillet et septembre, les retraits de billets aux distributeurs sont en baisse de 10% par rapport à la même période l’an passé, et les paiements en magasin avec saisie du code confidentiel ont chuté de 25%.
« En revanche, les paiements sans contact ont bondi de 65 % par rapport à 2019, favorisés par le relèvement du plafond de 30 à 50 euros, et les paiements par l’e-commerce ont progressé de 25 % », ajoute M. Lasalle. « La même tendance s’observe dans la plupart des pays européens : rarement un basculement aussi rapide des usages n’avait été observé », confirme Gilles Grapinet, PDG de Worldline, premier groupe de services de paiement en Europe.
De même, l’e-commerce a renforcé un peu plus encore son assise : les achats en ligne de produits de consommation courante ont progressé de 45,7 % au deuxième trimestre, selon la Fédération d’e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Et ce, au profit des géants américains tels qu’Amazon. « Les petits commerçants s’y sont mis aussi pour compenser la baisse des visites en boutique, nuance M. Grapinet. Le taux de pénétration du numérique dans nos vies a gagné peut-être 3,5 voire 10 ans. »
Du côté des usines, contraintes de fonctionner avec moins de personnel, les robots, imprimantes 3Det autres machines autonomes se sont également rendus un peu plus indispensables encore. Au point de remplacer pour de bon une partie des ouvriers ? L’économie sans contact sera-t-elle une société sans travail ?
Polarisation des emplois
Depuis plusieurs années, déjà, l’automatisation des tâches soulève les inquiétudes, dans l’industrie comme dans les services. D’après l’OCDE, la numérisation pourrait engendrer la disparition de 14 %des emplois dans les grands pays industrialisés ces vingt prochaines années, tandis que 31,6 % des postes seraient profondément transformés. Au risque que cela accélère un peu plus encore la disparition des classes moyennes.
« Mais cela n’a rien d’inéluctable : tout dépend de la façon dont on s’emparera de ces technologies ces prochaines années », souligne Daniel Cohen, qui décrit ces mutations dans son dernier ouvrage, Il faut dire que les temps ont changé (Ed. Albin Michel, 2018). A l’hôpital, les robots remplaceront-ils les infirmiers pour les gestes simples ? Ou bien, en leur libérant du temps, leur permettront-ils de se consacrer un peu plus aux patients, voire de réaliser des tâches jusqu’ici dévolues aux médecins ? De même, le télétravail favorisera-t-il un meilleur équilibre entre vies personnelle et professionnelle, ou bien accélérera-t-il la délocalisation de postes de cadres vers les pays à bas coût ?
« Cela suppose de déployer des formations et de l’éducation au numérique pour que personne ne reste sur le côté, notamment parmi les petites entreprises », Mathilde Pak, spécialiste de la Corée à l’OCDE
Deux scénarios sont possibles pour l’avenir, explique Daniel Cohen. Dans le premier, la numérisation à outrance, utilisée pour réduire les coûts, intensifierait la polarisation des emplois et « conduirait à une forme de déshumanisation », creusant les inégalités. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) s’en est alarmée dès le début de la pandémie : « Le passage rapide à la numérisation est susceptible de renforcer la position de quelques plateformes méga-numériques, prévient l’institution. Le fossé béant entre les pays sous-connectés et hypernumérisés va s’élargir. »
Dans le second scénario, les technologies numériques seraient utilisées en complémentarité des salariés, permettant notamment de pallier le vieillissement de la population active. « Cela suppose de déployer des formations et de l’éducation au numérique pour que personne ne reste sur le côté, notamment parmi les petites entreprises, les autoentrepreneurs et les plus âgés », souligne Mathilde Pak, spécialiste de la Corée à l’OCDE.
A Séoul, au début de la pandémie, des applications mobiles permettant de connaître en temps réel les stocks de masques dans les commerces ont fleuri. Grâce à elles, les jeunes ont réussi à s’équiper en quelques clics. Mais les retraités, eux, ont été des milliers à faire la queue pendant des heures devant les pharmacies de quartier, parfois en vain, car très peu ont su utiliser les applications. Rando Kim, le père de l’économie « untact », est le premier à en convenir : « Réduire cette fracture est l’un des défis que mon pays devra relever ces prochaines années. » Et pas seulement le sien…
PARIS – It would be foolish to start celebrating the end of US President Donald Trump’s administration, but it is not too soon to ponder the impact he will have left on the international economic system if his Democratic challenger, Joe Biden, wins November’s election. In some areas, a one-term Trump presidency would most likely leave an insignificant mark, which Biden could easily erase. But in several others, the last four years may well come to be seen as a watershed. Moreover, the long shadow of Trump’s international behavior will weigh on his eventual successor.
On climate change, Trump’s dismal legacy would be quickly wiped out. Biden has pledged to rejoin the 2015 Paris climate agreement “on day one” of his administration, achieve climate neutrality by 2050, and lead a global coalition against the climate threat. If this happens, Trump’s noisy denial of scientific evidence will be remembered as a minor blip.
In a surprisingly large number of domains, Trump has done little or has behaved too erratically to leave an imprint. Global financial regulation has not changed fundamentally during his term, and his administration has flip-flopped regarding the fight against tax havens. The International Monetary Fund and the World Bank have carried on working more or less smoothly, and Trump’s furious tweeting did not prevent the US Federal Reserve from continuing to act responsibly, including by providing dollar liquidity to key international partners during the COVID-19 crisis. True, Trump has repeatedly spoiled international summits, leaving his fellow leaders flummoxed. But such behavior has been more embarrassing than consequential.
But, Trump will be remembered for his trade initiatives. Although it has always been difficult to determine the real aims of an administration beset by infighting, three key goals now stand out: reshoring of manufacturing, an overhaul of the World Trade Organization, and economic decoupling from China. Each objective is likely to outlast Trump’s tenure, at least in part.
Reshoring looked like a costly fantasy four years ago, and it still is in many respects. As my Peterson Institute colleague Chad Bown has documented, Trump’s chaotic trade war with the world has often hurt US economic interests. But reshoring as a policy objective has gained new life after the pandemic exposed the vulnerability entailed by depending exclusively on global sourcing. Biden has endorsed the idea, and “economic sovereignty” – whatever that means – is now a near-universal new mantra.
US Trade Representative Robert Lighthizer claims that a “reset” of the WTO has been a high priority for the administration. If so, it has made some headway. The other G7 countries now share the long-standing US dissatisfaction with the WTO’s leniency toward China’s government subsidies and weak intellectual-property protection. There is also a recognition that some US grievances against WTO dispute-settlement procedures (and in particular the so-called Appellate Body) are valid. But whether the battle ends with a reset or the deconstruction of the multilateral trading system remains to be seen.
The major watershed is US-China relations. Although bilateral tensions were apparent before Trump’s election in 2016, nobody spoke of a “decoupling” of two countries that had become tightly integrated economically and financially. Four years later, decoupling has begun on several fronts, from technology to trade and investment. Nowadays, US Republicans and Democrats alike view bilateral economic ties through a geopolitical lens.
It is not clear whether Trump merely precipitated a rupture that was already in the making. He is not responsible for Chinese President Xi Jinping’s authoritarian assertiveness, and he did not devise the Belt and Road Initiative, China’s massive transnational infrastructure and credit program. But it was Trump who ditched his predecessor Barack Obama’s carefully balanced China strategy in favor of a brutally adversarial stance that left no scope for events to take a different course. Whatever the cause of decoupling, there won’t be a return to the status quo.
A Biden administration would also not find it easy to achieve its goal of restoring ties with US allies, like-minded democracies, and partners around the world. Until Trump’s presidency, much of the world had become accustomed to regarding the US as the main architect of the international economic system. As Adam Posen, also of the Peterson Institute, has argued, the US was a sort of chair-for-life of a global club whose rules it had largely conceived, but still had to abide by. The US could collect dues, but was also bound by duties, and had to forge a consensus on amendments to the rules.
Trump’s trademark has been to reject this approach and treat all other countries as competitors, rivals, or enemies, his overriding objective being to maximize the rent that the US can extract from its still-dominant economic position. “America First” epitomizes his explicit promotion of a narrow definition of the national interest.
Even if the US under Biden were willing to make credible international commitments again, its outlook may change lastingly. The former Trump adviser Nadia Schadlow recently argued that Trump’s tenure will be remembered as the moment when the world pivoted away from a unipolar paradigm to one of great-power competition.
It is by no means obvious that if Biden wins, he will be able to restore the trust of America’s international partners. For all its aberrations, Trump’s presidency may indicate a deeper US reaction to the shift in global economic power, and reflect the American public’s rejection of the foreign responsibilities their country assumed for three-quarters of a century. The old belief among US allies and economic partners that Americans will “ultimately do the right thing,” as Winston Churchill reputedly said, may be gone.
In any event, Trump’s peculiar behavior has made it easy for America’s allies to postpone hard choices. That seems particularly true of Europe. A Biden-led US might seem like a familiar partner to most European leaders. But if it asked them to take sides in the confrontation with China, Europe would no longer be able to put off its own moment of decision.
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