Beyrouth, janvier 2019
Commencé au début de la présente décennie, le mouvement dit « des printemps arabes » a vu, au Moyen-Orient, l’affrontement entre deux idéologies, l’idéologie libérale occidentale et l’idéologie islamiste issue du mouvement des Frères musulmans. C’est une guerre dont aucune des deux idéologies n’est sortie vainqueur. C’est une guerre qui a pavé la voie au retour du fait national. Loin d’être oblitérées, les frontières sont plus marquées que jamais. Les citoyens ne croient plus à un monde arabe globalisé et modernisé par la libre expression sur les réseaux sociaux. Le rêve islamiste d’un califat réunissant tous les pays musulmans de la région est également évanoui. Le mouvement du retour à la nation continue au Moyen-Orient. Quand on regarde la région de l’intérieur, on constate que les nations ne cessent de s’y renforcer. Elles le font dans leurs rivalités comme dans les alliances qu’elles nouent entre elles ou à l’étranger.
Quand on contemple la région de l’extérieur, un phénomène est frappant en ce début d’année 2019. C’est l’impuissance stratégique de l’Occident au Moyen-Orient. Elle se voit partout, dans tous les pays.
En Syrie, l’Occident n’a pratiquement plus son mot à dire ; tout se passe au sein du club d’Astana, c’est-à-dire entre les Turcs, les Iraniens et les Russes. Les Syriens, appuyés par leurs alliés iraniens, voudraient reconquérir immédiatement la poche d’Idlib (nord-ouest de la Syrie), les Turcs eux ne veulent pas toucher au statu quo pour garder leurs alliés rebelles en place et les Russes sont favorables au contrôle par Damas de cette portion de territoire syrien, mais ils obtiennent actuellement des délais afin de privilégier une voie négociée avec les rebelles.
En Turquie, les Occidentaux n’ont pas réussi à convaincre le Président Erdogan de maintenir la trêve qu’il avait instituée avec les Kurdes en mai 2013. Les Kurdes syriens ont été les principaux supplétifs des Occidentaux dans leur guerre contre les djihadistes. Parce qu’ils sont liés aux Kurdes turcs révolutionnaires du PKK, les Kurdes syriens sont aussi devenus une cible stratégique du président turc. Ankara voit rouge dès qu’on évoque la possibilité d’un territoire autonome kurde, même en Syrie, où il existe de facto depuis 2011, sous le nom de Rojava (bande de terre courant au nord du territoire syrien, le long de la frontière turque). En mars 2018, les Occidentaux n’ont pas réussi à dissuader les Turcs de prendre aux Kurdes le contrôle du canton d’Afrin (nord-ouest du territoire syrien), et d’y installer leurs supplétifs arabes islamistes. Le 19 décembre 2018, le président Trump a annoncé qu’il allait retirer du Rojava les forces spéciales américaines (2000 soldats stationnés à Manbij, sur la rive droite de l’Euphrate). Abandonnés par les Occidentaux, les Kurdes syriens (qui sont laïcs) se tournent désormais vers le régime de Damas pour trouver une protection efficace face à l’armée turque.
Au Liban, pays créé par les Français en 1920, les Occidentaux n’ont désormais pas plus d’influence que l’Iran, dont le fils spirituel (le Hezbollah) détient un droit de veto sur toutes les décisions stratégiques du gouvernement.
Au Yémen, l’Occident s’est montré incapable d’empêcher la catastrophe humanitaire née de l’intervention, à partir de mars 2015, de ses alliés saoudiens et émiratis contre les rebelles nordistes houthis, qui tiennent toujours la capitale Sanaa.
Dans le Golfe, les Occidentaux n’ont vu qu’un réformateur dans le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salman (MBS), aveugles quant à son aventurisme militaire et à son cynisme politique. De 2012 à 2016, le Royaume wahhabite a commis trois grosses bévues de politique étrangère. Il s’est immiscé en pure perte dans la guerre civile syrienne, y finançant et y armant les rebelles les plus djihadistes, sur lesquels il a perdu tout contrôle aujourd’hui. Il s’est également immiscé dans la guerre civile yéménite, alors qu’il n’était nullement menacé par les montagnards houthistes (de confession zaïdite, proche du chiisme) qu’il combat aujourd’hui. Enfin, en juin 2017, il a imposé au Qatar un embargo terrestre, aérien et maritime, sans parvenir à faire fléchir le moins du monde le petit émirat gazier. En l’espace d’un an et demi, les Occidentaux n’ont même pas réussi à obtenir une réconciliation au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG), institution de coopération entre monarchies sunnites, dont ils avaient facilité la création en 1981, afin d’endiguer l’expansion de la révolution islamique iranienne.
En Palestine, les Occidentaux ne sont pas parvenus à faire prévaloir leur solution des deux Etats, dont ils ne cessent de parler depuis 30 ans. On n’a jamais été aussi éloigné de cette solution des deux Etats et la colonisation israélienne en Cisjordanie est si avancée aujourd’hui qu’on ne voit pas très bien comment on pourrait encore y créer un Etat viable pour les Palestiniens.
En Libye, qu’on peut rattacher au Moyen-Orient tant les intérêts égyptiens, émiratis, turcs et qataris y sont importants, l’Occident a créé un chaos qu’il n’est pas capable de gérer. Les efforts de conciliation de la France, entamés par le Président Macron à La Celle Saint-Cloud le 25 juillet 2017, n’ont toujours rien donné de concret sur le terrain.
En Afghanistan (on peut mettre l’Afghanistan dans le Moyen-Orient puisque l’ONU le fait), après 17 ans de présence, les Occidentaux sont impuissants à faire prévaloir leurs vues. Les Talibans, soutenus en sous-main par les services militaires de renseignement pakistanais, font plus que jamais la loi dans les campagnes.
En Iran, malgré toutes les sanctions unilatérales supplémentaires décrétées par Trump en mai 2018, les Américains ne vont pas réussir à faire changer le régime. Les Britanniques et les Français, alliés de l’Amérique, mais favorables au maintien de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 avec l’Iran et à la suspension des sanctions commerciales, sont dans une position d’impuissance stratégique caractérisée, car leurs banques suivent le diktat américain, par peur de représailles du Treasury de Washington. Pour survivre, l’Iran va se tourner massivement vers la Russie et vers la Chine.
Lorsque les Occidentaux expriment des vœux sur le devenir du Moyen-Orient, plus personne ne les écoute, que ce soit à l’intérieur de cette région ou à l’extérieur. Comment en est-on arrivé à une telle impuissance stratégique ? L’Occident a commis trois fautes principales.
La première est le néo-conservatisme, ce mouvement qui croit que l’on peut imposer la démocratie à des peuples étrangers par la force des armes. Quel terrible gâchis que celui de l’invasion de l’Irak en 2003, certes courageusement dénoncée par la France ! Le retrait prématuré des Américains en 2010 a été une erreur stratégique aussi profonde, parce qu’ils n’auraient dû se retirer qu’une fois l’Irak stabilisé.
La seconde faute des Occidentaux est la soumission de leurs politiques étrangères à leurs impératifs électoraux intérieurs. Des considérations de politique intérieure ne sont pas étrangères à la décision de Nicolas Sarkozy, un an avant la présidentielle, d’intervenir militairement en Libye, et à la politique de Trump avec l’Iran, pays détesté depuis quarante ans par sa base électorale. Les exemples désastreux de l’Irak et de la Libye ont convaincu les peuples orientaux que l’Occident était en définitive assez indifférent à leur bien-être, lorsqu’il intervenait militairement chez eux.
La troisième faute est l’indécision des Occidentaux. Combien de fois les Occidentaux se sont-ils montrés incapables de prendre une décision ! La proposition Tchourkine de février 2012 en donne un bon exemple. En février 2012, l’ambassadeur de Russie aux Nations Unies Vitali Tchourkine fait une proposition aux Occidentaux, c’est-à-dire aux membres du P3 (les Américains, les Français et les Anglais) parce qu’il a bien compris que le régime de Damas vacillait et qu’il fallait peut-être trouver une solution, c’est-à-dire faire partir, avec les honneurs, le Président Bachar al-Assad, afin de constituer un gouvernemment de transition. Les trois Occidentaux ensemble lui ont répondu : « Non, ce n’est pas la peine de négocier car, de toute façon, Bachar sera chassé par son peuple d’ici quelques semaines ! » Au Moyen-Orient, le wishful thinking a souvent tenu lieu de politique chez les Occidentaux.
La conséquence de ces fautes est l’effacement des Occidentaux, qui furent aussitôt remplacés par la grande puissance opportuniste de la région qu’est la Russie. La Russie a deux bases souveraines en Syrie, mais au-delà, elle a réussi le prodige de faire venir à Moscou en 2017 le Roi d’Arabie saoudite qui l’avait combattue en Syrie. Le réchauffement russo-saoudien est tel que Vladimir Poutine a apporté son soutien à MBS après l’affaire Khashoggi (opposant saoudien sauvagement assassiné le 2 octobre 2018 au Consulat saoudien d’Istanbul). « Il n’y a pas d’affaire, laissons la justice saoudienne traiter cet incident ! », a dit le maître du Kremlin. La Russie a réussi à améliorer ses relations avec un autre grand allié des Américains : Israël. On a vu Netanyahou arborer le ruban de St Georges sur la Place Rouge à côté de Poutine. La Russie est aussi en force en Egypte, où elle va construire une centrale nucléaire. Et le Général Haftar en Libye est devenu une carte russe autant qu’elle était autrefois une carte américaine.
Cet effacement de l’Occident au Moyen-Orient n’est pas une bonne nouvelle pour la région. Car les Occidentaux y ont aussi, par le passé, apporté de très bonnes idées. Pour libérer le Koweït, envahi par l’Irak le 2 août 1990, les Américains avaient constitué une large coalition militaire, comprenant de nombreux pays arabes. En octobre 1991, ils convoquaient à Madrid une vaste Conférence de paix où les Palestiniens furent invités. Moins de deux ans plus tard, le Palestinien Arafat et l’Israélien Rabin se serraient la main sur la pelouse de la Maison Blanche. Seul l’assassinat, en novembre 1995, du premier ministre israélien (par un extrémiste religieux juif) allait réussir à enrayer un processus de paix qui avait été enclenché grâce à l’impact de la Conférence de Madrid.
L’Amérique, qui n’a plus besoin du pétrole moyen-oriental, a décidé de diminuer son implication militaire et politique dans la région, où sa stratégie se limite à asphyxier les Iraniens, pour les faire changer de régime. La Grande-Bretagne et la France sont trop faibles militairement pour prétendre y rejouer un rôle important. L’impuissance stratégique de l’Occident au Moyen-Orient est donc un phénomène qui a toutes les chances de se poursuivre…
Renaud Girard
WASHINGTON, DC – In 2015, the international community launched a renewed effort to tackle collective global challenges under the auspices of the United Nations Sustainable Development Agenda and the Framework Convention on Climate Change (COP21). But after an initial flurry of interest, the progress that has been made toward achieving the Sustainable Development Goals and tackling climate change has tapered off. Around the world, many seem to have developed an allergy to increasingly stark warnings from the UN and other bodies about accelerating species extinctions, ecosystem collapse, and global warming.
Now is not the time to debate whether progress toward global goals is a matter of the glass being half-full or half-empty. Soon, there will no longer even be a glass to worry about. Despite global news coverage of civic and political action to address our mounting crises, the underlying trends are extremely frightening. In recent months, the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) has marshaled overwhelming evidence to show that the effects of global warming in excess of 1.5oC above preindustrial levels will be devastating for billions of people around the world.
A recent report from the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services serves as yet another wake-up call. Human activities, the report concludes, have put an unprecedented one million species at risk of extinction. The oceans that supply food and livelihoods to more than four billion people are under threat. If we do not take immediate action to reverse these trends, the challenges of playing catch-up later will probably be insurmountable.
For decades, most of the major economies have relied on a form of capitalism that delivered considerable benefits. But we are now witnessing the implications of the Nobel laureate economist Milton Friedman’s famous mantra: “the social responsibility of business is to increase its profits.” A corporate-governance model based on maximizing shareholder value has long dominated our economic system, shaping our accounting frameworks, tax regimes, and business-school curricula.
But we have now reached a point where leading economic thinkers are questioning the fundamentals of the prevailing system. Paul Collier’s The Future of Capitalism, Joseph E. Stiglitz’s People, Power, and Profits, and Raghuram G. Rajan’s The Third Pillar all offer comprehensive assessments of the problem. A capitalist system that is disconnected from most people and unmoored from the territories in which it operates is no longer acceptable. Systems do not work in isolation. Eventually, reality asserts itself: global trade tensions reemerge, populist nationalists win power, and natural disasters grow in frequency and intensity.
Simply put, our approach to capitalism has exacerbated previously manageable social and environmental problems and sowed deep social divisions. The explosion in inequality and the laser focus on short-term results (that is, quarterly earnings) are just two symptoms of a broken system.
To maintain a well-functioning market economy that supports all stakeholders’ interests requires us to shift our focus to the long term. In some ways, this is already happening. But we need to channel the positive efforts underway into a concerted campaign to push systemic reforms past the tipping point. Only then will we have achieved a feedback loop that rewards long-term, sustainable approaches to business.
Most important, we must not succumb to complacency. Short-term tensions over trade and other issues will inevitably capture the attention of people and governments. But to permit the latest headlines to distract us from impending environmental and social catastrophes is to miss the forest for the trees.
Having said that, the impetus for driving positive change cannot be based on fear. The looming crises are both real and terrifying, but repeated warnings to that effect have diminishing returns. People have become immune to reality. Long-term change, then, must come from a readjustment of the market and our regulatory frameworks. Although consumers, investors, and other market participants should keep educating themselves and pushing for change, there also needs to be a thorough and rapid re-examination of the rules and norms governing capitalism today.
We need to impose real costs on market participants who do not change their behavior. That won’t happen through speeches, commentaries, and annual reports. The market economy is a powerful force that needs direction, and regulators and market participants themselves are the ones holding the compass. It is time to get serious about establishing the direct financial incentives and penalties needed to drive systemic change. Only after those are in place can we begin to debate whether the glass is half-empty or half-full.
Bertrand Badré
Published on 06/17/2019 in Project Syndicate
Bertrand Badré, a former Managing Director of the World Bank, is CEO of Blue like an Orange Sustainable Capital. He is the author of Can Finance Save the World?